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Bombay Dangerous: les léopards attaquent ! | Jay WorldMan
Indien cheveux teints

Cet homme a su garder une apparence juvénile et fashion grâce à l’aide de produits de beauté judicieusement choisis et parcimonieusement utilisés.

Souvent, je croise des Indiens avec des cheveux rouges, rouges-orangés vifs, comme s’ils s’étaient pris un pot de peinture sur la tête. Au début je croyais qu’ils s’étaient effectivement pris un pot de peinture vu que de nombreuses célébrations d’ici impliquent qu’on se jette des choses à la figure, mais récemment j’ai appris qu’il s’agit en fait d’une teinture, dont l’objectif est de cacher leurs cheveux blancs. C’est ce qu’on appelle combattre le mal par le mal.

Mais cet article ne parle pas de cheveux, quoique les cheveux teintés « orange » puissent rappeler (sous un certain angle et par l’entremise d’une imagination fertile) la fourrure du léopard. Ok, peut-être pas, mais j’ai réussi ma transition : l’article d’aujourd’hui parle de léopards et du danger que ces rongeurs représentent.

Tout a commencé parce que j’ai décidé de quitter le canapé de Nicolas pour qu’il puisse se balader à poils dans son salon… En fait c’est lui qui a décidé ; il m’a regardé droit dans les yeux et il a dit :

– J’ai envie de me balader à poils dans mon salon.

Le message était clair, menaçant surtout. J’ai donc re-re-re-fait mon sac-à-dos pour chercher un nouveau toit où me mettre à l’abri du danger. Or il se trouve que, les jours précédant, j’ai fait la connaissance de Mowglita (l’actrice qui me donne la réplique dans l’excellent film indien à paraître dont je tiens le premier rôle ; cf : voir les épisodes précédents) et de sa mère, que nous appellerons Baloota pour les besoins de cet article. Baloota est super cool. Elle est fan de scrabble sur internet parce que, dit-elle, il y a plus de challenge que dans farmville où elle a tous les cochons et les chevaux qu’elle veut, même qu’on lui file plein de cadeaux gratuits. Elle est aussi prof de psychologie dans le lycée le plus réputé de la ville. Elle m’a tout de suite pris en affection et m’a proposé de dormir sur le tapis, au-dessus duquel elle a installé une partie de son matelas (elle avait plusieurs couches, la coquine).

Je dors donc dans le salon de Baloota et Mowglita depuis plusieurs jours, en même temps que je suis acteur, que je cherche un appartement, et que je suis professeur de français (mais ça se sera l’objet d’un prochain article).

Voilà pour la situation de départ. C’est sur ces entrefaites, que Mowglita m’a proposé d’aller visiter Boriveli National Park.

borivali-vu mumai

Mumbai, vu de Borivali National Park.

Alors ce qu’il faut savoir sur Boriveli National Park, c’est que ce n’est pas un parc avec des bancs et des tourniquets, c’est la forêt qui se trouvait là avant que Mumbai prenne les proportions qu’on lui connait aujourd’hui. C’est donc une sorte de très très grand carré de forêt sauvage (aujourd’hui protégé) entouré par la ville. Un peu comme Central park en beaucoup plus grand, si on remplace les tours par des bidonvilles et qu’on rajoute des crocodiles, des serpents, des singes et des léopards un peu partout.

Nico me rapportait récemment un article de fait divers qui traitait de la mort d’un promeneur, attaqué par un crocodile dans Boriveli National Park. L’article énumérait :

  • 16h27 la victime est attaquée par un crocodile.
  • 16h32 la victime parvient à appeler des secours.
  • 18h30 les secours arrivent sur place.
  • 18h45 la victime meurt des suites de ses blessures.
parc rambot aix

Le Parc Rambot d’Aix-en-Provence, vu du Parc Rambot d’Aix-en-Provence. Pas de léopards mais gare aux pigeons! Le pire c’est qu’en voyant la photo, ce parc me manque… Ce sera pour mes vieux jours.

La morale de cette histoire c’est qu’il vaut mieux appeler les secours de Mumbai sur rendez-vous. Mais comme c’est contraire à la philosophie de l’aventure, nous nous sommes abstenus de prévenir qui que ce soit avant d’aller nous promener : en direction des grottes qui abritent d’anciens monastères, au sommet d’une des collines qui gondolent le tapis de verdure verdoyant du parc vert (poésie quand tu nous tiens !). En chemin, sur la route mal bitumée qui traverse la jungle, nous avons croisé des bandes d’adolescents et des couples, tous venus faire des choses interdites. Il y avait aussi des « tribus », comme dit Mowglita, qui apparemment se distinguent du reste de la population locale, mais je ne sais pas comment. Peut-être aux peintures rupestres qu’elle m’a montrées sur le flanc de leurs maisons ? Mais on s’en fout, non ? Après une bonne demi-heure de marche nous sommes parvenus à un embranchement invisible. Devant nous la route qui menait aux grottes-monastères et à gauche la route invisible qui devait y mener aussi.

Mowglita est férue de treks et de balades en montagne, c’est notamment pour ça qu’elle aime ce parc, et qu’elle m’a proposé que nous prenions la route invisible plutôt que la route goudronnée, « si je préférais ».

Pour vous dire la vérité je ne préférais pas forcément mais, comme d’hab’, j’ai pensé que s’il m’arrivait une connerie je pourrais vous la raconter… A moins bien sûr que ce soit une trop grosse connerie pour mes épaules, dans ce cas là vous l’auriez vu dans la presse et à la télévision, voire au cinéma 3D dans les mois suivant. En tous cas je n’ai pas bondi d’enthousiasme, je me suis contenté de répondre que si elle me proposait deux voies, je choisirais toujours la plus difficile, et il n’y a pas de message caché là-dessous. Nous sommes donc partis vers la gauche, mon short, mes chaussures de marche, le sac à dos de Mowglita, ses lunettes de soleil, ses sandalettes, Mowglita et moi.

Au début c’était marrant, un peu comme de se balader dans les collines de Provence, en écartant de temps en temps la branche malicieuse d’un jeune pin qui déborderait sur le chemin, parfumé des senteurs sauvages du genêt, du thym et du romarin et du chèvrefeuille (Ah ! Muses ! Muses ! Ne me laisserez vous donc jamais en paix ?). Nous avons batifolé un moment dans la nature puis dans les moustiques, en approchant d’un ruisseau. La route invisible était devenue inimaginable, mais nous avions fait tant de chemin que nous avons continué d’avancer : un philosophe de l’aventure ne recule jamais sauf parfois.

mumbai-city-map

Matez-moi la taille de ce parc! La grosse tache verte au nord…

On a craqué quelques branches (hélas !) et offert leur goûter aux moustiques. Mowglita a rapidement cessé de bondir de pierre en pierre pour plonger les deux pieds dans l’eau. Je l’ai suivi, prudemment, parce que j’avais peur de déranger les nombreuses araignées multicolores dont un mauvais coup de coude peut saccager la toile. Quelques étages de la colline plus haut, nous avons quitté la rivière et continué de nous enfoncer dans des branches, pas très touffues, mais quand même. Je me sentais à mon aise parce que c’était comme se balader dans les collines de Provence, quand la pinède vous caresse les papilles nasales avec du genêt, du thym, du romarin et du chèvrefeuille… Mowglita, de son côté, commençait à s’inquiéter. A demi-mot seulement… Mais son souci venait des statistiques effrayo-terrifiantes de Boriveli National Park : dix morts par an. La cause ? « Attaques de léopards ».

Mowglita avait évoqué les léopards, au début, mais en parlait désormais de plus en plus, ou de comment ils entraient parfois dans les maisons, à la lisière de la forêt, pour emporter les vieillards et les bébés. En amoureux de la nature, j’étais bien content que les léopards prospèrent, et je n’avais pas du tout fait le rapprochement avec le fait qu’on puisse en rencontrer. Il n’y a pas de léopards en Provence. Par contre plus on avançait plus je m’inquiétais des serpents qui, sans doute, se cachaient dans les hautes herbes que nous traversions.

Finalement, à force d’enjambages de branches et d’escaladages de trucs on est arrivé au milieu de nulle part. Mais comme je vous l’ai dit, Mowglita est une habituée des treks : je n’avais pas de raison de m’inquiéter. Ce postulat a toutefois été remis en question lorsqu’elle a déclaré :

Tu as voyagé dans trente-trois pays, je n’ai pas de raison de m’inquiéter…

S’en est suivi un long débat sur en quoi le fait d’avoir voyagé pourrait bien nous être utile dans un moment pareil, puis nous avons repris notre route, ou plutôt notre avancée. A partir de ce moment je ne surveillais plus que mes pieds, mais aussi les hautes branches, des fois qu’un léopard y soit perché. Par ailleurs j’orientai la discussion sur « comment aspirer le venin d’une plaie lorsqu’on a été mordu par un serpent », pour être sûr que Mowglita sache réagir au cas où ça devait arriver… Moi je savais : j’avais appris dans un épisode de « Max et compagnie » (mais qui se souviendra de cet épisode, qui ?!).

max et compagnie

Moment toride de cette série: lorsque Max suce la chville de Sabrina pour en retirer le venin… CHOBINIGHT!!!

En contournant de gros blocs de roche mousseuse nous avons pu sortir de la couverture des arbres, non sans être trempés par une averse soudaine. La mousson perdure. Sur cette espèce de mini-plateau, en fait le sommet d’une première colline, il y avait des hautes-herbes, des cactus et des papillons. Pas de route par contre, ni de point de vue : nous avons continué à avancer.

Mowglita commençait à flipper sa mère à cause des léopards, maintenant qu’elle comprenait que nous étions vraiment paumés, 33 pays ou non. Mais en ce qui me concerne, j’aurais été plutôt content d’en croiser un, pour pouvoir vous le raconter.

Vous avez lu la dernière ligne et vous vous dites : « Quel courage ce Nabolo, quel aventurier ! » ? Vous n’avez presque pas tout à fait tort. En fait il y a une raison pour laquelle je ne redoutais pas les léopards, c’est que, aussi fou que ça puisse paraître, je les ai confondu avec des servals (des servaux ?). Je m’explique : je sais parfaitement à quoi ressemble un léopard d’habitude, mais pour une raison inconnue, peut-être de l’auto-défense imaginaire, peut-être parce qu’on parlait d’eux en anglais, je me suis dépeint les léopards comme des servals, à peine plus gros qu’un gros chat. Bizarre comme phénomène, mais c’est cette image qui m’accompagnait tandis que nous entamions une nouvelle escalade de rivière, puis de rocher ; à couvert, puis à découvert.

Mowglita a bien tenté de faire monter la pression en me désignant du doigt un « papillon-tigre » aux ailes oranges rayées de noir, insecte qui trahit la présence de grands félins dans les environs et l’imaginaire populaire indien. Mais je trouvai ça un peu gros…

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Les grottes de Kanheri: notre destination initiale…

Au sommet de notre deuxième colline, nous avons enfin aperçu les grottes-aux-monastères, deux collines plus loin. Quelques touristes y folâtraient, hors de portée de la voix. Qu’à cela ne tienne, il n’y avait qu’à filer droit : passer d’une colline à une autre en se frottant au thym, au romarin, au chèvrefeuille, au genêt, et hop ! L’affaire serait réglée.

Mais pas de thym, ni de romarin… (ni de genêt). Nous étions en Inde. Les collines n’y sont pas celles de Provence : des crevasses abruptes empêchaient le passage des unes aux autres. Nous avons tenté un détour par ci, un détour par là, mais rien n’y fit. Le soleil commençait à décliner en même temps que la raison de Mowglita qui, voyant la nuit s’approcher, a lentement glissé vers l’état de panique. Mowglita marchait trop vite, et dans n’importe quelle direction.

Quand vous lirez mon excellent roman à paraître (j’attends toujours qu’un éditeur vienne me supplier même si certains d’entre vous m’ont contacté avec de vraiment bonnes idées, merci à eux !) vous découvrirez ce phénomène « d’héroïsme dans la détresse » qui peut frapper certaines personnes quand c’est vraiment la [mot de Cambronne]. Quand c’est vraiment la [mot de Cambronne], donc, ces personnes se rappellent qu’Actarus sauvait la planète bleue quasiment tous les jours à bord de Goldorak, et que « la [mot de Cambronne] » n’est rien d’autre qu’une occasion unique de devenir un vrai héros.

C’est exactement ce qui m’est arrivé lorsque nous nous sommes finalement résolus à rebrousser l’exact chemin que nous avions parcouru, mais sans en retrouver la trace. A partir de ce moment là je me suis transformé (cf les art. sur la philosophie de l’aventure et l’artifice la création de personnage) en Indianabolo, un super-aventurier qui gère toutes les situations et qui « protège la meuf ». Ce subterfuge m’a permis de prendre une décision à la con : celle de suivre la rivière pour retrouver la plaine.

serval

Le léopard de mon imagination: un serval… Un bon coup de pied et il n’y paraîtra plus.

Il y avait trop de végétation pour suivre la rivière par la berge, alors nous avons décidé de la survoler en sautant de cailloux en cailloux. Seulement ce n’était plus un ruisseau que cette rivière mais… une rivière, gonflée de plus en plus par les averses qui continuaient de tomber.

Comme j’étais Indianabolo je protégeais la meuf. C’est moi qui portait le sac et qui ouvrait le chemin. Mowglita me dépassait de temps en temps mais c’était par pure panique, elle ne se contrôlait plus. Si je lui disais de m’attendre elle répondait à peine. Je crois qu’elle se voyait déjà avec un léopard au cou… J’avais du mal à réaliser : pour un Européen le léopard est presque un animal mythologique… Mais à la tête qu’elle faisait je commençais à comprendre la réalité de la menace tachetée.

Alors que nous nous enfoncions encore un peu plus vers l’enfer, une créature hostile nous observait à notre insu. Nous ne l’avons pas vue, nous ne l’avons pas entendue.

Mes récits se veulent drôles d’habitude, mais pour vous raconter ce qui est arrivé ensuite, je reprends un peu de mon sérieux. Mowglita, pressée de rentrer, était une fois de plus passée devant. C’était lourd de lui répéter sans cesse de me céder le passage, alors je l’ai laissé faire… Sans quoi c’est moi qui aurait été à sa place.

Les choses se sont passées tellement vite que j’ai du mal à les décrire. En fait nous ne l’avons même pas vu bondir. En un instant, le fauve était sur elle, pendu à l’épaule gauche de ma camarade ! Mowglita a poussé un hurlement. Elle bougeait dans tous les sens pour se débarrasser de son emprise. Il m’a fallu plusieurs secondes pour réagir tellement j’étais éberlué. De son côté, le monstre tenait bon, ses griffes accrochées au foulard de sa victime. Quand j’ai retrouvé mes esprits, je me suis précipité au secours de mon amie (en dépit du danger). J’ai tiré sur le foulard pour la libérer de cette étreinte mortelle… Ca a marché, à mes dépends puisque je me suis du coup retrouvé de l’autre côté du foulard que le prédateur agrippait avec rage.

Léopard

Contrairement aux apparences, le léopard n’est pas aussi tachon que le serval…

J’aurais pu lâcher le foulard me direz-vous… C’est con comme un chou-fleur mais sur le moment je n’y ai pas pensé. J’ai saisi le premier bâton qui trainait à portée de main et je l’ai glissé sous la gorge de l’animal, m’en servant de levier pour lui faire lâcher prise. Ca a marché, suite à quoi il a déguerpi sans demander son reste, décontenancé par l’échec de son attaque surprise… J’ai héroïquement ramené son foulard à Mowglita. Elle était encore sous le choc. On peut la comprendre. Moi-même je n’avais jamais vu de chenille aussi grosse : toute verte fluo avec une espèce de crochet géant, exotique et empoisonné à l’arrière du coccyx. Déjà qu’on avait sûrement choppé la malaria à cause des moustiques de la rivière, je n’imagine pas ce qu’une dose supplémentaire de poison aurait pu avoir comme conséquence, même dans un organisme exceptionnel comme le mien, abreuvé au kiri depuis l’enfance (vous ne le saviez pas ? Un kiri est l’équivalent d’un grand verre de lait. On peut aussi boire des kinders, c’est pareil).

Suite à cet affrontement, nous avons poursuivi notre route, au-dessus et dans la rivière : un prédateur encore plus redoutable.

J’avais déjà de l’eau jusqu’à la taille quand je suis tombé dans un trou et le sac avec moi. Le temps que je remonte à la surface, le sac en avait pris un coup, et les téléphones portables avec lui. Mowglita avait perdu ses lunettes de soleil dans une précédente chute et l’une de ses sandalettes était morte. La rivière descendait un étroit couloir rocheux dont les parois avaient été polies par l’eau. La végétation végétait bien au dessus de ces parois, ce qui montrait que la rivière était loin de déployer sa taille maximale… Mais à force d’averses, elle était en chemin. Le niveau de l’eau a commencé de monter, le soleil continuait de descendre et Mowglita était de plus en plus hagarde. Pour la détendre un peu je l’ai arrêté de force en lui demandant de me raconter une blague. Mais elle ne pensait plus qu’à l’heure qui tournait : les grottes-monastères fermeraient à 17h30 et la nuit tomberait peu après, avec, peut-être sur nous, ses léopards affamés. Donc pour la blague, elle s’est abstenue, et n’a même pas daigner écouter la mienne (dommage, j’en avais une bonne à propos de trois chats sur un pont)…

Il y a maintenant presqu’un an, j’ai eu la chance de faire du canyoning à la Réunion. J’ai rappelé à moi tout ce que j’avais appris alors pour continuer. Nous avons séché les portables, toujours fonctionnels mais inutiles pour absence de réseau. J’ai replongé, sans le sac, que Mowglita m’a lancé une fois que j’eu testé la route, et encore, et encore. Les trous n’étaient jamais très hauts, il y avait peu de chance que je me casse quelque chose en sautant. Glisser, par contre, serait dangereux, et je recommandais à Mowglita de ne plus se mettre debout : elle risquait de tomber sur la tête, ou autre, et si l’un de nous deux était KO ou dans l’impossibilité de marcher, l’affaire se corserait d’un coup.

canyoning

Enlever les casques, les combis, les gilets; rajoutez un sac à dos et une demi paire de sandalette et vous aurez une idée de ce qu’était notre situation (nous sommes des héros).

Ce faisant, le soleil continuait de descendre, la rivière de gonfler et Mowglita de pâlir. Que je chante des chansons n’y fit rien. Je tentais de lui expliquer que la panique était notre seule vraie ennemie mais elle n’était déjà plus là. Je ne veux pas dire qu’elle courrait partout en criant, je veux dire que son esprit n’était plus obsédé que par une chose : « avancer vite », au point qu’elle était incapable d’interagir normalement avec moi et nous mettait parfois en danger (surtout moi !) en me poussant quand je n’allais pas assez vite…

La panique, ça se transmet. Au début j’étais Indianabolo, le sourire aux lèvres, heureux de saisir au vol une nouvelle aventure et content d’offrir l’exemple de ma puissante philosophie de vie et de courage à une jeune partenaire en détresse… Et puis je me suis peu à peu ratatiné pour ne plus être que Nabo. La rivière me faisait vraiment peur. Je ne pensais même pas aux léopards que le courant de l’eau, de plus en plus fort, avait totalement chassés de mon esprit. A cause des virages que prenait le boyau rocheux qui servait de lit au torrent, on ne voyait pas à plus de quatre mètres devant nous. On pouvait très bien être entraînés vers une chute d’eau en sautant dans un trou. La paroi était si glissante qu’il devenait difficile d’échapper au courant, surtout si Mowglita me poussait pour avancer. Il n’y avait rien pour s’agripper que de la roche lisse mouillée, et tomber dans l’eau au mauvais endroit s’était s’en remettre aux humeurs du courant quant à notre destination finale. Je me suis rendu à l’évidence : ce que nous faisions était hyper dangereux. Il fallait quitter le boyau rocheux au plus vite. Nous avons escaladé la paroi jusqu’à nous agripper tant bien que mal au flanc de la colline qui montait au-delà, disons à 295° (ou 65° si vous préférez mais c’est moins impressionnant). Il y avait peu de prises à part de petits trous de pierre mouillés par la pluie et des touffes d’herbes que nous attrapions à pleines mains, dans la douleur pour peu qu’un cactus s’y cachât. La rivière continuait son chemin de son côté, en une chute d’eau abrupte, dangereuse et mortelle dont je n’ai pas pu apprécier la hauteur de là où je me trouvais. En fait, on venait de l’échapper belle.

Nous étions en pleine ascension quand le téléphone portable de Mowglita s’est mis à sonner. Ô joie ! C’était Baloota. Mowglita lui a expliqué la situation à sa manière, en lui disant qu’on était perdu en forêt. De mon côté j’insistai pour qu’elle précise que nous étions en danger, ce que Mowglita traduisit en demandant à Baloota d’envoyer un hélicoptère. Je ne sais pas ce que Baloota a compris, la communication était assez mauvaise, mais elle a dit « J’arrive » et elle a raccroché. On voyait mal comment elle pourrait « arriver », et surtout où ? Nous ne le savions pas nous-mêmes. Mowglita avait repris du poil de la bête depuis le coup de fil, ce qui m’a permis de discuter avec elle du meilleur abri pour passer la nuit, sujet qui l’a rembruni quelque peu. Notre situation me rappelait celle de Blanchette, la chèvre de Monsieur Seguin qui avait quitté sa ferme pour la colline où elle aimait tant gambader dans le thym, le genêt et le chèvrefeuille (j’imagine). Elle en avait bien profité la coquine, jusqu’à l’arrivée du loup…

Mais pas de loup dans notre cas, ni de léopard : au sommet de la colline nous avons aperçu les monastères, nous étions sauvés ! Mowglita a rappelé sa mère pour annuler l’hélicoptère et nous avons rejoint les gardes qui tiraient des coups de sifflet en annonçant la fermeture du site. Nous étions trempés, peaux et vêtements déchirés (j’ai une micro-coupure au bras qui, j’espère, va me laisser une cicatrice de baroudeur), Mowglita n’avait plus de chaussures ni de lunettes.

Lorsque nous avons raconté notre aventure aux gardes, ils nous ont expliqués avec ce flegme indien si particulier que nous serions morts si nous n’étions pas arrivés avant la nuit et que le prix d’entrée du site était de 100 roupies pour moi et de 5 roupies pour Mowglita (les Indiens et les touristes payent des tarifs distincts sur la plupart des sites archéologiques). J’ai payé de mauvais gré les cent roupies que le garde a mis dans sa poche et nous sommes repartis par la grande route, celle qui est bien visible, plus rapide, mais tellement moins riche en émotions et en souvenirs (cette fois il y a peut-être un message caché là-dessous).

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