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INDIANA TOM – Extrait | Jay WorldMan

Acheter INDIANA TOMParce que le site de TheBookEdition, où vous pouvez commander le bouquin, le présente assez mal, je poste ici le premier chapitre de INDIANA TOM, en guise d’extrait.

Résumé:

« Thomas Rougon ne connaît rien à la diplomatie. Il ne connaît rien à l’Inde non plus. C’est pour meubler son CV qu’il accepte, en fin d’études, un stage à l’ambassade de France de New Delhi, avec une mission : aider à l’organisation de la visite officielle du Président de la République.

De gaffes en aventures il va découvrir les codes du monde diplomatique et la magie de ce pays des merveilles qu’on appelle « le sous-continent indien ». »


Chapitre 1. Le Voyage

février 2006

Une valise à roulettes cassées, un grand sac à dos, deux cartables et un sac poubelle, Thomas titube dans le hall de l’aéroport. Il emporte avec lui des habits neufs, dont un costume et une cravate avec le nœud déjà fait ; sa trousse de toilette, remplie de médicaments achetés par sa mère ; son ordinateur portable, bien garni en jeux vidéos et de gros bouquins, dont le lourdissime « Mahabarata » qu’il maudit en traînant le dernier de ses baluchons.
Songe-t-il alors que ce sacrilège lui vaudra le courroux des Dieux ?

« J’avoue que non. »

Sans s’attarder davantage, Thomas grimpe dans un avion affrété par Jet Airways, ou ce qu’il y a de plus moderne en termes de compagnies aériennes indiennes. Le vol durera moins longtemps que celui qu’il avait pris naguère, pour les Etats-Unis, mais la destination est autrement plus exotique.
Thomas est incapable de se la représenter. Tandis que les réacteurs avalent les kilomètres, il ressasse les différents témoignages collectés avant son départ : l’Inde, mais comment c’est ?

– Oh c’est magnifique ! Tu vas vraiment te plaire là-bas ! C’est vraiment-vraiment beau et tout le monde est si gentil ! Oh et puis tu vas faire du rickshaw c’est vraiment bien !

Comme ça lui paraissait un peu confus Thomas avait demandé à Madame Husson, sa prof’ de « hindi » et de « Civilisation indienne », de bien vouloir approfondir.

– Ah c’est difficile ! Je peux pas te dire, c’est tellement magique comme pays ! Ce qui est sûr c’est qu’on n’y reste pas indifférent. Mais tu vas aimer tu vas voir ! Oh, comme tu as de la chance ! répondit-elle en trépignant d’excitation, ce qui fit sonner les miroirs en plastique cousus à sa robe et les petites perles de ses colliers bruns.


– L’Inde ? C’est dur.

Chantal aspira une grande bouffée de tabac en tirant sur sa cigarette, ce qui fit lentement remonter l’extrémité intérieure de ses sourcils jusqu’au milieu de son front. La mère de Sophie (la plus proche amie de Thomas) fait toujours ça quand elle répond à leurs questions.

– Tu pars combien de temps ? Six mois ? demanda-t-elle en recrachant la fumée. Six mois c’est dur. Tu as déjà voyagé dans un pays du sud ?

– Non. Mais pourquoi c’est si dur ?

– Mais parce que, sa voix passa soudainement du grave à l’aigu, les gens vivent dans une misère totale là-bas, totale !

– Euh… C’est-à-dire ?

– Eh bien c’est-à-dire que tu vois tous ces petits gosses qui jouent tout nus dans le caniveau ; les lépreux (oui, des lépreux !) qui s’accrochent à toi pour te demander de l’argent… Et puis juste à coté il y a ces grands hôtels où se rendent les riches Indiens en enjambant parfois les corps dénudés des mourants qui gisent sur le trottoir… Dans l’indifférence la plus totale ! Ah non, moi ça me fout le cafard, c’est vraiment très dur.

– Tu y es allée souvent ?

– Jamais, mais Sylvain m’a raconté.

– Ah ! C’est toi qui pars en Inde bientôt ? La prof m’a prévenue, y a pas de ‘blème, assieds-toi. Qu’est-ce que tu voulais savoir ?

– Merci. Eh bien… Rien de particulier, je cherche seulement à me faire une idée avant le départ.

– Alors en Inde y a un mot que tu dois savoir…

Son fauteuil à roulettes glissa jusqu’au bureau. L’assistante piqua un stylo à son voisin en plaisantant (l’ambiance était plutôt détendue à l’institut de géographie de la fac de lettres) et sur un post-it elle écrivit « CHALE ! ».

– Ca veut dire « Casse-toi ! » tu vas t’en servir sans arrêt. Faut que tu saches qu’en Inde, des Indiens, y en a partout, même quand tu les vois pas. Je me rappelle une fois au Kerala, je m’étais cachée derrière un buisson pour mouler un bronze et là, qui je vois qui m’observe planqué dans les fourrés ? Un Indien, tranquille, qui se faisait plaise à me mater. Je te préviens au cas où. A part ça tu vas voir, les Indiens, ils prennent leur temps. Ah ça, ils sont cools les Indiens ! Chaque jour a sa tâche mais pas plus : ils vont dou-ce-ment. Y a aussi un truc qui est sûr c’est que tu vas chopper la chiasse, ça c’est certain, personne n’en réchappe. Alors bien entendu, bois pas l’eau du robinet… Putain ! Ca me rappelle une fois, j’étais vraiment limite : je suis sortie du bus comme une fusée, zooouuuuuuu ! J’ai poussé tout le monde dans la queue pour les toilettes ! Ah non mais j’aurais tué hein, j’aurais tué !!

– Bon ben Tom, bon voyage !

– Merci pour tout So’ ! Donc c’est bon t’es sûre que ça te dérange pas de t’occuper de Lebowski (le chat du voisin que Thomas suspecte de malnutrition) ?

– J’irai pas jusqu’à dire que ça me fait plaisiiir, fit-elle en laissant siffler la salive sur le coin de ses lèvres et tout en relâchant son étreinte, mais bon, je fais ça pour toi hein ! Tu donnes des nouvelles, tu nous reviens entier ! Sylvain, mon frère, il y a passé trois mois et il a fait une dépression qui en a duré six à son retour.

– Sérieux ?!

– Oui, il vomissait à la vue d’un supermarché. Mais bon, lui était infirmier dans une ONG humanitaire au Cachemire, pas stagiaire à l’ambassade de France. T’inquiète pas, tu vas voir, tout va bien se passer.

*

La tête appuyée contre le hublot, Thomas met ses heures de vol à profit pour lire un bout du « Mahabarata ». Il s’agit d’un texte sacré de l’hindouisme, une sorte d’Iliade indienne racontant les déboires de deux familles ennemies tout en posant des dogmes religieux. Le récit est si long que quiconque en achève la lecture est promis au Nirvana, à la libération de l’âme. Malheureusement pour la sienne, Thomas cède aux appels de l’écran vidéo incrusté dans le siège de devant. Il s’y joue des « bollywoods » dont l’histoire, toujours la même, est celle de deux amoureux et des obstacles qu’ils surmontent inévitablement au bout de cent quatre vingt minutes de danses traditionnelles et de chansons. Thomas pourrait appuyer sur pause à n’importe quel moment pour figer l’action sur une image semblable aux immondes posters bariolés de sa sœur. Il préfère bientôt piquer un somme.

Pour s’endormir, Thomas révise ses leçons de hindi : efficacité garantie. Ses rêves l’emmènent quelques mois en arrière, lorsqu’il avait consenti à intégrer le « Master de Négociation Internationale » de la faculté de lettres, faute de mieux. Il s’y était pris tard pour les inscriptions et s’était accommodé de la seule option encore disponible : « spécialité – aire indienne ». S’en étaient suivies des semaines de cours magistraux et autres travaux dirigés lors desquels il avait appris que les « Indiens » ne sont pas tous des « hindous » ; qu’il existe en Inde un système de castes divisant la société en strates héréditaires ; que le Taj Mahal n’est pas un palais mais un tombeau ; que New Delhi est la capitale de l’Inde et qu’elle est accolée à Delhi-tout-court…

« J’étais au courant pour les vaches. »

Cette formation achevée, il manquait à Thomas un stage afin de valider son diplôme : c’est alors qu’intervint le Ministère des Affaires Etrangères, répondant positivement à la candidature hasardeuse de Monsieur Thomas Rougon dont il avait un besoin urgent à l’ambassade de France en Inde, dans le cadre de la préparation de la visite officielle de Monsieur le Président de la République française.

*

Quand Thomas débarque à l’aéroport de Bombay, il a l’estomac gonflé d’un cocktail confus d’appréhensions et d’excitations que mélange une grande louche de curiosité. Tout bien considéré, c’est la première fois qu’il voyage seul… En Inde, et dans l’énigmatique objectif « d’accueillir le Président de la République », en plus ! Mais Thomas est résolu, il est prêt à en découdre depuis des mois. Il a le sentiment qu’il va gagner ses galons d’aventurier avec ce voyage, voire de héros national si son stage se passe bien. A quand sa première épreuve ? Sans doute lorsque l’hôtesse d’accueil lui annonce que ses billets n’autorisent pas le transit pour Delhi, la précédente hôtesse lui ayant retiré le bon billet lors de son étape à Londres. Thomas soupçonne une arnaque organisée. Il peste en déboursant cet argent si difficilement soutiré à son père. Ses bagages, eux, continuent de voyager grâce au billet manquant : parfois le papier est plus fort que la logique. A peine a-t-il son nouveau billet en main que l’hôtesse d’accueil lui annonce que l’avion décolle de l’aéroport national, « the other one » donc, où elle doute qu’il puisse arriver à temps.
Etrangler quelqu’un peut prendre d’une à deux minutes. Thomas n’en a plus une seule. Flanqué d’un pousseur de chariot qu’il n’a pas sollicité et dont l’insistance est aussi lourde que la charge, Thomas court d’une extrémité de l’aéroport à l’autre en passant par les étapes « changer de devise » ; « acheter le ticket prépayé du taxi » ; « trouver le taxi ». Une fois installé dans le taxi dont l’immatriculation correspond à son ticket prépayé, et tout en reprenant le souffle perdu lors de sa course folle, Thomas accède à ce qui lui paraît être un niveau respectable de sérénité bouddhique : le chauffeur, appuyé contre sa voiture, les yeux mi-clos comme au réveil, analyse longuement le papier que son passager lui tend et sur lequel est inscrite la destination vers laquelle il souhaite se rendre DE TOUTE URGENCE. Ayant accepté l’idée qu’il va rater l’avion, un rire nerveux de désespoir monte aux lèvres du voyageur.

« On m’avait tellement prévenu… »

Le chauffeur se laisse le temps de la réflexion, puis, en traînant les pieds, s’en va trouver un groupe de ses collègues qui discutent à deux places de parking de là, vraisemblablement pour demander la direction. C’est le groupe entier qui revient vers la voiture. Ils bavardent en hindi, Thomas est capable d’identifier la langue sans la comprendre. Plus loin, un bonhomme se promène à pas contenus, il est hélé par la petite assemblée. Le bonhomme la rejoint pour échanger quelques blagues, et à la grande surprise de Thomas, s’installe à la place du conducteur.

Alors qu’ils commencent leur course au ralenti dans le taxi jaune, noir et vert dont c’est miracle que les portes aient survécu au démarrage, Thomas regarde autour de lui : des vieillards à la peau mâte et burinée, fournis de barbes blanches dont les plus longues touffes leur descendent aux genoux sont allongés en désordre sur les trottoirs, à l’ombre des arbres. Le matin n’est guère avancé mais il fait déjà très chaud, et Thomas a écrasé avec inquiétude son premier moustique à la sortie de l’avion, sur le tarmac, évitant ainsi de justesse la contamination au paludisme. La conduite de son chauffeur est ce qu’il y a de plus brut, de plus pur. Le code de la route s’écrit sous ses yeux : à l’encre klaxonne. D’ailleurs c’est simple, il n’y a même pas de signalisation ! Les conducteurs klaxonnent quand ils démarrent, quand ils freinent, quand ils s’arrêtent… Souvent par mégarde ou lorsqu’ils ouvrent leur fenêtre… Ou encore quand ils sont contents, ou tristes. Peut-être aussi par inquiétude lorsqu’ils veulent vérifier que leur klaxon fonctionne toujours ? Bref, ils klaxonnent tout le temps, et les piétons intrépides qui traversent la route s’en remettent à l’ouïe pour ne s’en sortir qu’au centimètre près mais toujours sans inquiétude, comme s’il n’était pas envisageable qu’un véhicule les percutât.

Le taxi traverse des bidonvilles. Les gens y ont l’air heureux (en particulier les enfants) quoiqu’évidemment pauvres. Ils vont pieds nus ou mal habillés mais il fait chaud, beau, certains jouent à des jeux de société, d’autres font la sieste… A aucun moment Thomas ne se surprend à les plaindre. Par ailleurs il s’est fait à l’idée qu’il va rater l’avion. Après tout, il est en Inde : doubler des ânes décharnés à un carrefour lui offre trop à rêver pour qu’il se soucie de quoi que ce soit d’autre. De temps en temps son chauffeur tourne la tête en le regardant d’un œil malin, souriant de toutes ses dents, qu’il a marron. Thomas échange avec lui quelques mots d’anglo-hindi, quelques. Aux feux rouges, il observe les vieilles voitures remplies à exploser ; les hommes en costard-cravates à l’arrière de motos datant de l’avant guerre ; les piétons nus pieds. Il y a de tout pour satisfaire sa soif de différences et de nouveautés, même des miracles : il ne rate pas l’avion.

*

Thomas passe les portes automatiques du « Domestic Airport » de Delhi quelques heures plus tard.
Madhu, un Indien d’une trentaine d’années auquel une fine moustache n’enlève pas ses airs d’enfant, l’attend avec une pancarte au milieu d’une foule compacte d’autochtones que des barrières métalliques retiennent précautionneusement à quelques mètres de la sortie. Il accueille Thomas d’un grand « Bonjour ! » en sautant de la barrière sur laquelle il est perché et l’invite, en anglais cette fois, à monter dans une luxueuse 4×4 tout en tripotant son portable dernière génération.

Français et Indien sympathisent. Madhu travaille pour l’ambassade depuis quelques années. Il apparaît à Thomas comme quelqu’un de particulièrement malin, peut-être parce qu’il le prévient tout de suite que c’est en faisant des demandes en mariage qu’on arrive à ses fins, en Inde, avec les filles et peu importe qu’on soit déjà marié. Thomas lui demande si la polygamie est autorisée ? Madhu lui sourit que non.

Leur voiture se débat dans une faune très différente de celle de Bombay, majoritairement composée de voitures modèle « Ambassadeur » et de rickshaws, des sortes de mobylettes à trois roues sur le châssis desquelles sont aménagés de petits abris de tôle et de toile légalement capables d’accueillir jusqu’à trois personnes en plus du conducteur et, en pratique, capables d’en accueillir le double. De la voiture de devant qui roule au ralenti, comme toutes les autres d’ailleurs, un jet de vomi vient éclabousser le trottoir, dans l’anonymat du bruit ininterrompu des klaxons… A la droite de Thomas, sur le siège du conducteur, Madhu se masque aussitôt les yeux.

Un sujet récurent des lectures de Thomas sur l’Inde, était celui des castes : des divisions sociales dont les commandements, stricts, sont décrits comme omniprésents et extrêmes, allant jusqu’à condamner le mélange des ombres de deux individus de castes distinctes. Et Thomas s’interroge : la vue du vomi issu de la bouche d’un membre d’une caste inférieure risque-t-elle de salir l’âme de son hindou de chauffeur ? A quelle inquiétude spirituelle le spectacle du dégueuli routier auquel ils viennent d’assister le met-il donc en proie ? Madhu a tôt fait de dissiper ces doutes :

– Yuk ! It’s disgusting ! I dont wont to see zat or I am going to vomit az well !

*

Madhu et Thomas arrivent finalement dans un quartier surpeuplé de chiens errants, pareillement aux autres, Thomas va le découvrir bientôt. A sa grande excitation, ils croisent une vache efflanquée qui balance mollement ses os sur un trottoir, entre les poubelles où elle cherche sa pitance.

« Comme sur les images de mon livre de hindi ! Mais les poubelles rendent mieux en aquarelle… »

Dans un immeuble gris, donnant sur une ruelle sale dont les murs sont couverts de guirlandes d’œillets, Thomas est accueilli par Laurent, attaché à la mission militaire de l’ambassade de France, tandis que Madhu prend congé d’un officiel « Goodbye Mister Thomas ». Laurent est un bonhomme d’une extrême gentillesse. Thomas a été surpris de l’entendre parler français car ses origines tamoules le font passer pour Indien. L’appartement qu’il lui présente est digne d’un palais : sol de marbre, lits à baldaquins, salon avec mini-sofas, etc. Dans les toilettes, le jet d’eau est incorporé à la cuvette, chose que Thomas ignorerait s’il ne manquait du papier.

« En gros on dirait un chiotte-bidet. »

C’est parce que ses amis lui ont demandé de louer l’appartement en leur absence que Laurent y reçoit le stagiaire, le temps qu’il trouve où s’établir de manière définitive. Il lui offre aussi une rapide visite du quartier dont les bizarreries abondent à chaque coin de rue mais le surprennent sans le choquer : pas de cadavres ni de lépreux en vue. Chemin faisant, Laurent parle de sa mission du moment, une étude au sujet des « think-tank », soit des conférences de spécialistes dont le gouvernement indien semble attendre beaucoup ; puis, plus longuement, de son projet d’import d’ouvre-bouteilles « fashion », dont il attend beaucoup lui-même compte tenu du développement rapide de l’économie du pays.

– Avec l’émergence d’une classe moyenne en Inde et l’accès aux alcools… Crois-moi, c’est là dedans qu’il faut investir, martèle-t-il.

Pour conclure, Laurent s’en retourne vers sa petite famille, non sans prévenir :

– La femme de ménage viendra te préparer le petit déjeuner demain matin.

Finalement statique, couché dans un lit qu’il ne connaît pas, dans une chambre traversée de bruits qu’il ne connaît pas, un peu comme une balle lancée très loin qui s’arrête enfin de rebondir, Thomas songe qu’il arrivera bientôt au début de son voyage. Il lui reste encore à rouler toute une nuit de sommeil pour pouvoir découvrir, à l’aube, à quoi ressembleront plus ou moins les six prochains mois de sa vie.


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