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La partouze | Jay WorldMan

Une nouvelle tirée du recueil « Transports en commun ».


La partouze

La vie toute entière de Valentin fut placée sous le sceau infamant du sexe. Oui mesdames et messieurs, oui mesdemoiselles, je dis bien du sexe, au sens sexuel, au sens où Valentin, à l’âge de cinq ans, se masturbait déjà contre ses draps mouillés.

On peut faire remonter cette pratique condamnable à plus tôt encore, lorsque le jeune Valentin gratifiait sa mère, changeant ses couches, d’une modeste mais persévérante érection ! Difficile de déterminer s’il avait déjà ce comportement dans la matrice originelle, mais rien ne permet de supposer le contraire, surtout pas qu’il ait voulu y demeurer si longtemps, au point qu’on dut l’en extirper par la peau des testicules lorsqu’il se présenta par le siège.

Est-ce cet incident qui explique son goût, dès le plus jeune âge, pour les jeux de touche-pipi et de trappe-trappe bisou ? Le quittait-on une minute des yeux, dans la cour de la maternelle, qu’on le retrouvait à farfouiller sous le tablier des petites filles. Mais les adultes avaient beau le réprimander pour sa conduite, les filles accueillaient les initiatives de Valentin et son goût pour le jeu avec de larges sourires ou des mots d’encouragement.

Cette cour de la maternelle, ce fut une sorte d’Eden pour Valentin, un paradis des sens et de l’amour où l’audace payait à chaque fois. Il y avait des sourires partout et toutes les caresses étaient bienvenues : qui aurait été assez triste pour les refuser ?

La masturbation n’est venue qu’après, lorsque les jeux de l’amour ont peu à peu cédé sous le sceau de l’interdit.

En primaire déjà, les jeunes filles reçurent l’alarme de leurs parents : « garder ses fesses dans sa culotte » et « ne pas parler aux inconnus ».

Valentin perdit peu à peu ses alliées. Celles qui jadis n’auraient pas manqué une seule de ses « aventures à la recherche du plaisir » se renfrognaient, le condamnaient en récitant des psaumes et des louanges à la vertu et mettaient un prix à leurs caresses, fut-il celui d’une inclination. Pire que tout, elles perdirent la mémoire, oubliant peu à peu la complicité qu’elles avaient jadis partagée avec le jeune garçon, la refoulant dans un bout de passé noirci au charbon de la morale.

Elles ne furent pas les seules à oublier. Valentin n’était pas si unique en son genre : nombre de ses camarades l’avaient imité dans ses jeux. Ils oublièrent, eux aussi.

Valentin n’oublia pas, lui. Valentin refusa d’oublier. Chaque jour, en se frottant contre le matelas mou et tiède de son lit, il repassait dans sa mémoire toutes ces images accumulées dans les dortoirs et les jardins, les toilettes et la cour de récré. Tous ces tabliers soulevés, ces culottes écartées et les sourires qu’il en avait retirés… Valentin revoyait les visages et les gestes. Il se souvenait grâce à ce rituel quotidien et jouissait en pleurant d’être le seul.

***

Valentin traina ses souvenirs avec lui comme une bénédiction maudite. Chaque matin il se masturbait, et chaque matin des images surgies du passé lui redonnaient l’espoir qu’en cette nouvelle journée peut-être, l’une des nymphes de son jardin déchu accepterait de le glisser dans son intimité.

Mais la porte des nymphes, toujours, demeura close… Quand les nymphes ne se transformaient pas en harpies pour lui cracher du fiel et des regards qui l’accusaient de chercher le plaisir qu’hommes et femmes partagent d’instinct.

Valentin ne s’expliquait pas ce procès. Il se masturba de plus belle.

Les années passèrent, le sexe de Valentin étouffait dans son linceul.

Les filles, à nouveau, accordèrent leurs faveurs, mais elles comptaient leurs baisers et, plus durement encore, leurs bénéficiaires.

Valentin ne fut pas au nombre des élus. Il était trop spontané pour faire la cour, ce rituel lui échappait. Qu’il trouve une fille belle et il allait le lui dire. Mais jamais un baiser n’était sa récompense : c’était de l’indifférence ou des rires qui le plongèrent dans la plus grande perplexité. Alors Valentin retrouva ses souvenirs et ses draps, jusqu’à ce que, à l’âge de douze ans, il finisse par y laisser les traces un peu trop évidentes de ses consolations. Valentin en conçut de la honte, directement coulée dans son subconscient par contamination de ses contemporains.

Papier-toilettes et mouchoirs remplacèrent les draps. Se masturber requérait désormais une nouvelle dextérité et une nouvelle discrétion au fur à mesure que ses besoins en la matière grandissaient. Cependant, à l’extérieur des toilettes et de son lit, de ses souvenirs, les filles que côtoyait Valentin brisèrent peu à peu le cocon qui avait pour un temps brimé leur sensualité. Les formes rondes qu’empruntèrent leurs corps en furent le plus flagrant témoignage. Les premières en retirèrent des avantages qui firent la jalousie de toutes les autres : leurs secondes, bientôt. Des dessous affriolants jaillirent autour des décolletés, mais les toucher resta l’apanage de quelques gagnants.

Pour jouir, Valentin n’avait que ses yeux, sa main, son sexe, des souvenirs lointains ou ceux de la journée qu’il agrémentait de fantasmes. Il n’osait plus prétendre à des caresses que, trop souvent, on lui avait refusées avec des mots méchants.

Alors Valentin resta seul avec sa main, des années encore, doutant de revoir un jour l’Eden mais s’y noyant par la pensée.

***

A l’adolescence, ni les boums, ni les soirées-pyjamas ne portèrent leurs fruits, ou du moins ne permirent-elles pas que Valentin les dérobât.

Des flirts poussaient parfois dans les moquettes d’une chambre à coucher, mais leurs promesses étaient vides de quelque manière que Valentin les effeuillât.

Valentin se rêvait nu, son corps contre le corps d’une autre chauffés à soixante quatorze degrés. La chaleur montait encore en même temps que son sexe prenait de la hauteur et se mélangeait à celui d’une partenaire imaginaire ou tirée du passé.

Les masturbations de Valentin étaient de plus en plus fréquentes. En fait il s’adonnait à ce loisir dès qu’il le pouvait ; le matin en se levant ; à midi, à la pause déjeuner, puis juste avant de repartir au lycée ; en rentrant chez lui, le soir, et avant de se coucher.

Plus qu’un plaisir, se masturber était devenu pour lui une nécessité. S’il ne se touchait pas suffisamment, la coupe débordait dans son sommeil ou se dressait aux moments les plus inopportuns : passer au tableau était devenu sa hantise car, de l’estrade, comme Cupidon des nues, Valentin embrasserait toute la classe, la chair, les regards et les formes de celles qui le repoussaient mais dont les odeurs transpiraient la sensualité et dont les bouches salivaient de désirs inavoués.

Valentin, s’il posait les yeux sur elles, les voyait nues, à l’exception d’une modeste feuille de vigne qui retenait à elle seule une jarre de vin bouillonnant. Il aurait arraché cette feuille avec toute la force de ses mâchoires et de ses dents s’il l’avait pu. Avec toute sa haine du temps perdu. Mais c’était soit impossible, soit interdit.

Lorsque Valentin eut dix-huit ans, cela ne signifia qu’une chose à ses yeux : qu’il pouvait rencontrer les femmes qui vendent le plaisir, puisqu’aucune n’était prête à lui en faire cadeau.

***

Avec deux billets de vingt euros en poche, Valentin prit la direction de la rue Saint Denis dont il avait souvent battu le pavé de son imagination mais où il mettait le pied pour la première fois.

Des portes aux couleurs tapageuses allumaient le chemin et le détournaient, parfois.

Derrière l’une d’entre elles, Valentin allait rencontrer une femme libérée de sa feuille de vigne, une déesse de la sensualité et du plaisir, une sage retournée aux valeurs premières de l’amour et dont le savoir méritait qu’on paye pour qu’elle le partageât. Auprès d’elle, il retrouverait son cher jardin et le secret pour le cultiver à nouveau.

D’un geste qui ne tremblait que par impatience, Valentin écarta un rideau de perles rouges et entra dans « Bitoland » car tel était le nom de ce temple de l’amour. La grande prêtresse, assise derrière son comptoir, demanda :

–  C’est pour… ?

–  Madame, je suis venu pour faire l’amour. répondit solennellement Valentin en la fixant dans les yeux.

–  Bien sûr… dit-elle, le regardant de pied en cap et devinant chez lui un non-initié au grand rituel, C’est trente euros.

Le visage de Valentin s’éclaira en constatant qu’il possédait la somme, ce dont il avait jusqu’alors douté. Son interlocutrice dut s’en apercevoir puisqu’elle ajouta :

–  Sauf la fellation. Pour la fellation c’est dix euros de plus.

–  La quoi ?  s’enquit Valentin, légèrement troublé.

–  La fellation, la pipe. Pour que je te suce. mima-t-elle d’un geste de la main tout en gonflant sa joue gauche avec sa langue.

–  D’accord… bredouilla Valentin, décontenancé.

–  Tu as l’argent ? Donne-le-moi. demanda la prêtresse, avant d’inviter Valentin à la suivre dans les escaliers.

Ce faisant elle combla le silence en posant à Valentin des questions sur son âge, d’où il venait et surtout s’il connaissait quelqu’un dans le quartier.

Valentin y répondit très sobrement. Il était très impressionné par cette femme aux formes autrement plus généreuses que celles de ses camarades de classe et beaucoup moins dissimulées, par ses cheveux d’un blond qu’il n’avait jamais vu et qui coulaient sur une peau dont les effluves étaient masqués par l’odeur âcre du tabac.

La prêtresse conduisit Valentin dans une chambre meublée d’un simple matelas. Il y avait aussi un grand miroir, sur tout un pan de mur.

–  Vire tes fringues et allonge-toi, dit-elle en s’approchant du miroir.

Valentin s’exécuta sans mot dire. La prostituée ne le regarda pas, tout occupée qu’elle était à se curer les dents grâce au concours du miroir.

–  C’est bon ? demanda-t-elle finalement, et d’un coup d’œil sur le miroir elle eut réponse à sa question, Très bien, alors regarde et fais-toi plaisir, invita-t-elle en se courbant légèrement en avant, non sans mettre fin à sa précédente occupation, et quoi que Valentin la soupçonna de s’intéresser maintenant aux poils qui lui dépassaient du nez.

Valentin attendit une suite, puis, constatant qu’il ne se passait rien, demanda :

–  Vous pouvez me toucher un peu, s’il vous plait ?

–  Ah non coupa la pute, tu dois déjà savoir faire ça tout seul mon grand.

Valentin comprit alors que les choses ne se déroulaient pas comme convenues.

–  Mais… Nous nous sommes mis d’accord et je vous ai payée ! grogna-t-il avec une voix où perçait cette colère que la pute saisit au vol :

–  Non mais pour qui tu te prends ? Tu vois ce trou dans le plafond là ? dit-elle en désignant le seul orifice que Valentin n’avait pas encore remarqué, T’es filmé depuis tout à l’heure et si je crie maintenant y a deux balèzes qui débarquent et qui te jettent dans la Seine, tu piges ?

Valentin opta pour un hochement de tête.

–  Alors maintenant tu te finis tout seul et tu te casses, conclut la femme en quittant la salle avant de refermer la porte derrière elle.

Valentin ne mit pas longtemps à rejoindre son arnaqueuse, la peur au ventre. Il passa devant elle, qui fumait une cigarette sur le palier, et s’éloigna.

–  Fais pas la tronche, lança la pute, t’es jeune et t’es pas mal foutu, tu finiras par trouver ce que tu cherches.

***

L’oracle de l’amour n’avait pas menti. Il ne fallut pas quelques semaines pour que l’occasion se présentât.

C’était le lendemain des résultats du baccalauréat, Valentin avait été convié chez un ami dont la maison était équipée d’une piscine, et pour l’occasion d’un réfrigérateur rempli de boissons, la piscine elle-même étant remplie de jeunes gens libérés de tout souci.

La soirée avait commencé dans l’eau et l’alcool et s’était poursuivie de même.

A une heure du matin, une jeune fille à la peau fraîche avait attiré Valentin dans une chambre inoccupée. Elle avait collé sa bouche contre sa bouche et fait glisser sa langue avec un naturel et un érotisme qui n’avaient laissé de pierre qu’une partie raisonnablement volumineuse de l’anatomie du jeune homme. Valentin avait posé la paume de ses mains sur le dos de la jeune fille que son maillot de bain ne couvrait pas. Puis il l’avait attiré à lui et collé son ventre contre le sien en une étreinte passionnée.

Est-ce qu’il aimait cette fille ? Non, il ne la connaissait qu’à peine. Il l’aimait comme on aime qu’un vent frais, parfois, vous balaie le front, comme on aime sa préférée de toutes les friandises, comme on aime une odeur qui rappelle des souvenirs. Il l’aimait d’un amour naturel et simple qui le poussait à fusionner avec elle, à vouloir s’y fondre par le moyen le plus plaisant.

Des baisers furent échangés en même temps que des fluides. Valentin ne s’était plus approché à ce point d’une fille depuis des années mais tout lui revenait à présent, et sa bouche qui avait goûté d’abord, dévora finalement.

A l’issue de leur dernière caresse, les amants jouirent, puis s’endormirent.

Valentin se réveilla le premier le lendemain matin. Il emporta avec lui ses habits et l’image d’une belle au bois dormant qu’il ne voulut pas réveiller, tant l’instant était beau, tant les muses chantaient. Il adressa un baiser volant à celle dont il ne connaissait même pas le nom et qu’il ne reverrait sans doute pas avant de l’avoir oubliée… Jamais.

Pourtant, vers quatorze heures, on sonna au domicile de ses parents. Valentin alla ouvrir : c’était un jeune homme dont le visage aurait pu lui dire quelque chose s’il avait été physionomiste, et qui devait être son aîné.

–  Bonjour, que puis-je pour vous ? demanda-t-il.

–  C’est toi Valentin ? interrogea le jeune homme qui semblait difficilement contenir sa colère, et de fait il ajouta : C’est ma sœur que t’as violé espèce d’enculé ! avant de se jeter sur Valentin et de lui déboiter la mâchoire à coups de poings.

Par chance, les parents de Valentin étaient à la maison ce dimanche et son père put intervenir à temps. C’est aussi lui qui accompagna Valentin au commissariat pour tirer cette histoire au clair, jusque chez la jeune fille à qui Valentin dut présenter des excuses au travers d’une porte qu’elle refusa de lui ouvrir mais qui laissait distinctement entendre ses sanglots.

***

Dire que cette expérience fut la dernière de Valentin serait mentir. Il y en eut d’autres, mais Valentin avait connu un traumatisme.

Plus jamais il ne parvint à libérer son esprit de son corps comme il l’avait fait lors de cette première fois. La méfiance l’habitait désormais, bien qu’il embrassât, bien qu’il pelotât ou encore qu’il jouît. Mais c’était des orgasmes mécaniques, les mêmes qu’il aurait eu par le biais de la masturbation. S’il faisait une rencontre, de plus en plus souvent, il revenait déçu.

Il fallait faire des pieds et des mains pour obtenir un baiser, le centuple pour une étreinte… L’amour n’était plus un jeu, c’était un combat. Et pour peu qu’on s’ouvrît les portes de l’arène encore fallait-il y triompher, sur du sable salé, devant un public exigeant, et puisque mourir y était interdit.

De plus en plus, Valentin délaissa les femmes au profit de son imagination, plus accessible et presqu’aussi douce.

Il envia un moment les hommes qui s’aiment entre eux et, pensa-t-il, peut-être se comprennent mieux. Mais bien qu’il fût prêt à s’y essayer aussi, il ne put que se heurter au manque total d’intérêt sexuel qu’il portait à la gent masculine.

Les animaux non plus ne l’intéressaient pas, encore qu’il comprît parfaitement que d’autres préférassent leur amour à celui des humains et qu’il les respectât pour ce choix, pourvu que leurs partenaires aussi soient consentants. Car telle était la conviction de Valentin que l’activité sexuelle, comme manger, comme boire, est un besoin qui peut être hissé au rang de plaisir, et rassasié sous une multitude de formes dont aucune n’est condamnable tant qu’elle ne porte préjudice à personne ; que l’amour, comme il appelait sa manifestation physique, doit être consommé avec un naturel et une spontanéité qui faisaient défaut chez toutes les filles qu’il rencontrait mais dont il avait malgré lui un goût viscéral.

Valentin se masturbait. Pour ce faire, il usait et abusait d’Internet à présent qu’il avait son propre appartement. En quelques clics, il accédait aux vidéos de tous les fantasmes qu’il imaginait jadis, et plus encore. Sa garçonnière finit par disparaître sous une marée de mouchoirs roses et blancs sur lesquels il publiait les chroniques de ses frustrations.

« Anal », « Blowjob », « Hardcore »… Tout en quelques clics. « Black », « Asian », « Blonde »… Toutes les femmes du monde. Elles se donnaient comme ça devant une caméra mais des milliers de spectateurs. Sans pudeur, sans complexe, comme si le sexe, chez elles, était la chose la plus naturelle.

Valentin en vint à s’imaginer l’autre côté de l’écran comme son Eden perdu. Un monde où les gens font l’amour, sans jalousie, sans complexe, où il n’y a pas besoin de passer un concours pour donner une caresse. C’était donc là qu’il irait le retrouver.

***

« Festival Mondial du Porno ».

Valentin était à la bonne adresse, avec dans les mains un prospectus sur lequel il était écrit :

« Participez à un casting d’acteur porno ! ».

Valentin se fondit dans la file d’attente, paya son ticket et entra.

L’intérieur du « Festival Mondial du Porno » ressemblait à un gigantesque hangar blanc. Des kiosques étaient rangés en lignes qui formaient des allées. La foule se déversait par l’entrée principale.

Pour la plupart, les kiosques proposaient des gadgets sexuels qui s’apparentaient à des chenilles de l’espace. Il y avait aussi des scènes sur lesquelles des actrices dansaient, se mettaient nues pour jouer de leurs attributs, parfois avec le concours du public. L’atmosphère n’avait rien d’érotique sous le feu des puissantes lampes halogènes, mais Valentin était ravi de voir tous ces gens heureux et, devinait-il, sexuellement épanouis.

Lorsqu’il aperçut dans la foule un des membres de l’équipe d’organisation, Valentin se précipita vers lui :

–  Bonjour Monsieur, je souhaite participer au casting, vous savez… ? Pour devenir acteur.

L’homme arborait un badge sur lequel on pouvait lire « Coorganisateur ». Il s’arrêta pour considérer Valentin et lui poser une série de questions sur sa sexualité.

Apparemment satisfait de ses réponses, il lui proposa de le suivre.

Valentin et le coorganisateur traversèrent le festival en passant devant des stands où une jeune femme jonglait avec des balles de ping-pong à la seule force de son vagin. Une autre introduisait dans le sien une chaîne en fer de plus de trois mètres de long, battant le précédent record du monde. Valentin n’y prêta guère attention, il n’avait jamais aimé le cirque.

Enfin ils arrivèrent dans une toute petite salle de classe où s’entassait une quarantaine de garçons d’une vingtaine à une trentaine d’années, tous plus ou moins admiratifs devant une femme d’un certain âge qui siégeait au milieu d’eux comme une reine au milieu de sa cour : elle aussi portait un badge « Coorganisateur », agrafé à son corsage de cuir rouge. C’est à elle que le compagnon de Valentin s’adressa :

–  Un jeune, il a l’air motivé…

–  Il passera les épreuves comme tout le monde.

Le coorganisateur acquiesça, puis s’éclipsa après avoir fait comprendre à Valentin qu’il n’aurait qu’à attendre sur place. Quelques instants plus tard, la coorganisatrice, ancienne star du X, invita tous les candidats à s’asseoir et leur fit distribuer des papiers.

–  C’est l’étape numéro un, annonça-t-elle, Répondez simplement aux questions, à savoir si votre famille est au courant de ce que vous êtes venus faire ici, s’ils vous soutiennent, si vous-même vous avez des exigences particulières en ce qui concerne les filles, ou si n’importe laquelle fait l’affaire, etc.

Au bout d’un quart d’heure les fiches étaient remplies. Sauf une, d’un garçon qui admit ne pas savoir écrire. Un nouveau quart d’heure plus tard, la coorganisatrice rappelait tout le monde et renvoyait la moitié des candidats qui n’avait pas été retenue.

–  Bon alors écoutez-moi vous autres…, prévint-elle à l’intention des restants dont Valentin faisait partie, Je me fous de qui est le plus musclé, de qui est le plus beau, de qui a la plus grosse. Ici, la seule chose qu’on vous demande c’est de bander quand on vous le demande. C’est clair ? Bien. Vous allez maintenant passer l’épreuve photo, dans le cabinet d’à côté.

Effectivement, un cabinet avait été aménagé spécialement pour une séance photo, c’est à dire qu’on l’avait équipé d’un projecteur et d’un rideau noir. Valentin n’était pas tout à fait à son aise, néanmoins il s’amusait, car dans la file d’attente les plaisanteries allaient bon train. Tous ses camarades s’émouvaient, non sans rire, de la situation, un peu comme avant un examen.

Lorsque Valentin entra dans la salle au rideau noir, il y croisa celui qui en sortait, l’air dépité. Dans le coin obscur qui faisait dos au projecteur, une demi-douzaine de photographes cachaient leurs visages derrière la fumée de leurs cigarettes.

–  Déshabille toi, lâcha l’un d’entre eux, sur le ton de l’habitude.

Valentin ôta ses vêtements et se plaça devant le projecteur.

–  Ok. Prend trois poses sexy, reprit le photographe que Valentin distinguait de moins en moins.

Des poses sexy ? Valentin ne s’attendait pas à ça, non plus qu’il n’imaginait ce que pouvait bien être une « pose sexy » pour un homme. Alors, dans l’urgence, il se rappela celles qu’il avait déjà vues aux femmes, en se courbant, de dos, le plat des mains contre le mur.

–  Hmm hmm, fit le photographe, Suivante !

Valentin, prit une nouvelle position, gonflant les muscles, cette fois, pour se donner plus de virilité, mais les joues rouges de honte. Puis il se rhabilla et retourna dans la salle de classe avec un léger vertige.

La salle de classe n’en était plus une : on avait retiré les sièges et les garçons étaient tous en rang contre un des murs. La coorganisatrice, elle, était au milieu, bientôt rejointe par les photographes et trois jeunes actrices, chacune le disputant de vulgarité à ses collègues.

–   Dernière épreuve pour les qualifiés ! proclama la coorganisatrice, Vous allez tous vous déshabiller, vous masturber, enfiler un préservatif et venir baiser une des filles dans deux positions différentes. Si vous conservez votre érection, vous serez qua-li-fiés ! C’est parti !

Déjà, les voisins de Valentin avaient enlevé leurs habits et le bruit des emballages de préservatif qu’on déchire retentit comme le signal du départ. Vite ! Valentin se déshabilla à son tour et s’empressa de se masturber… Mais ce qu’il découvrit entre ses jambes n’était plus qu’un petit bout de chair informe qui lui glissa entre les doigts. A sa gauche, une quinzaine d’hommes était en train de se tripoter. Valentin essaya toutes les combinaisons, il appuya de toutes ses forces, ou bien caressa, légèrement. En face de lui les photographes s’engoudronnaient dans leurs cigarettes. Valentin tenta de fermer les yeux, de travailler sur sa concentration. A sa droite, les actrices, maquillées comme un arrêt de métro, tiraient la langue dans toutes les directions, comme on leur avait probablement suggéré de le faire pour exciter les hommes… C’est alors que Valentin comprit qu’il n’était pas ici chez lui. On lui demandait une performance sportive à des fins commerciales, mais Valentin était en train de tout perdre, jusqu’à son envie. Pour la première fois il réalisa que son sexe n’était pas un muscle sur lequel il avait tout contrôle, mais une sorte de créature vivant avec lui en symbiose et qui, en cet instant, ne se reconnaissait pas dans ses choix.

Valentin remit ses habits et s’en alla. En se retournant une dernière fois au moment de passer la porte, il aperçut le néant, à cet endroit qu’une des actrices montrait en écartant les fesses : une absence totale d’amour et de sensualité.

***

Valentin tirait sur son sexe comme on s’amuse avec un bidule en caoutchouc : pour passer le temps. Son corps ne réagissait plus. Si un exceptionnel frisson venait donner du volume à son membre inerte, ses désirs étaient infirmes et ses fantasmes meurtris sous le choc qu’avait provoqué l’image du « néant ».

En se concentrant, il parvenait à provoquer une érection, un peu… Néanmoins ce demi-succès lui apportait de grosses satisfactions en comparaison du désespoir que lui causait son impuissance.

Valentin se plaignait souvent de son état. Or il arriva qu’un jour, un couple de ses amies s’offrit de l’aider. L’opération fut un succès, sans compter que le trio avait beaucoup ri de l’incongruité de ce jeu. Ils se promirent de remettre ça, mais les occasions manquèrent. Pourtant, à travers ce moment passé à trois plutôt qu’à deux, à travers les rires et l’absence totale de malentendu, Valentin avait retrouvé un peu de son Eden, de l’amour enfantin.

C’est de là qu’il eut cette idée saugrenue, qui paraissait irréalisable de prime abord mais qui ne le quitta plus : il allait organiser un gigantesque rassemblement amoureux, chez lui, où se rejoindraient tous ceux qui, comme lui, n’avaient pas oublié.

Valentin s’attabla pour rédiger les invitations. Il y mit la forme, de l’amour et de la sincérité, puis il convint d’une date et indiqua le lieu.

Durant tout le mois qui suivit, Valentin distribua ses invitations partout où il allait, mais aussi dans tous les lieux de réunion : à l’église, à la mosquée, à la synagogue, aux sièges des partis politiques, dans les entreprises et dans les soirées, dans les jardins et les parcs d’attraction, et bien entendu sur Internet.

Il arriva que, selon les lieux, certains « invités » lui jettent des insultes ou des menaces, ce sur quoi Valentin partait en courant, mais sans tristesse : il n’attendait plus de tous qu’ils partageassent son approche du sexe et de l’amour, mais voulait dénicher parmi la foule ceux qui auraient pu.

Enfin, le grand jour arriva. Le rendez-vous avait été fixé à la vingt et unième heure. Valentin avait tout rangé, tout préparé, il s’était mis en costume pour recevoir. Mais à l’heure dite personne, ne vint.

Valentin se laissa tomber dans les coussins qu’il avait achetés par dizaines pour l’occasion. Il croisa ses bras sous sa tête et regarda le plafond où était collée une ribambelle d’étoiles fluorescentes qui rappelait la constellation des Poissons. Il soupira.

Soudain, on frappa à la porte.

–  C’est ouvert, dit-il sans même bouger les yeux.

On actionna la poignée et la porte grinça.

–  Oh ! s’étonna une voix aux accents féminins. Je suis désolée, j’ai du me tromper d’appartement… puis en avisant les coussins : A moins que j’arrive trop tard ?

–  Vous êtes en retard, oui, bougonna Valentin, mais entrez, faites comme chez vous.

Valentin n’avait pas bougé d’un pouce. Il entendit la porte se refermer puis ce qu’il prédisait être une jeune femme, d’après la voix, enlever ses chaussures.

–  Je prends un peu d’eau si ça ne vous dérange pas ?

–  C’est ça, faites comme chez vous.

Valentin se concentra pour ne pas tourner la tête. S’il n’en avait pas eu envie au départ, à présent la curiosité le démangeait. Mais il appréhendait de voir à qui il avait affaire.

La mystérieuse invitée prit un verre d’eau puis marcha jusqu’aux coussins. Elle finit par s’asseoir à côté de Valentin, et lui demanda, entre deux gorgées :

–  Mais qu’est-ce que vous faites ?

–  Je regarde les étoiles.

–  Ah. Mais ces étoiles sont fausses…

–  Et alors ? Qu’est-ce que ça change ? Vous les voyez mieux, les vraies ?

–  Euh… Non, c’est juste.

–  Ce qui compte avec les étoiles, de toute façon, c’est la signification qu’on leur donne. C’est qu’elles puissent servir de prétexte pour se parler.

Alors la jeune fille s’allongea à côté de Valentin, et ils parlèrent des étoiles comme des milliers d’amants l’avaient fait avant eux, puis ils parlèrent encore, de tout et de rien, toute la nuit durant. Finalement, Valentin se retourna pour la regarder, elle. Il la trouva belle, au point de vouloir la toucher. Il approcha sa main de sa peau qu’il frôla… Le contact fut électrique. Il y eut comme un court-jus qui manqua de faire exploser la chambre. A l’endroit où la chair de Valentin touchait celle de l’inconnue, la passion, la tendresse et l’amour irradiaient de couleurs blanches, roses et rouges en une sensation que personne n’a jamais pu deviner avant de l’avoir connue : le plus perturbant des sentiments humains circulait à travers leurs corps à partir du point de contact entre leurs épidermes, distillant tout à la fois une lancinante faiblesse et une énergie à soulever des montagnes. Leurs corps s’embrassèrent, augmentant encore l’intensité du phénomène dont leurs cœurs ne suivaient plus le rythme… Et tout ce qui n’était pas sensations mourut à cet instant.

Quand ils se réveillèrent le lendemain matin, ce fut avec le sentiment d’être frères, deux particules jumelles qui s’étaient reconnues dans la grande partouze de la vie.

FIN