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Mumbai Express | Jay WorldMan
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Je suis quelque part a droite…

Non mais qu’est-ce que vous me faites pas faire ! Enième rendez-vous l’autre jour, pour une énième opportunité de future carrière de fou comme acteur de dingue dans Bollywood la crazy-maboule… A peine ai-je acheté mon billet de train que qu’est-ce que je m’aperçois-je ? Le train se fait la malle. C’est là que je me suis dit : « Essaie de le prendre en marche, s’il t’arrive une connerie ça les fera marrer… ». Voilà qui montre à quel point VOUS êtes les vrais moteurs de cet excellent Nabolo-blog, chers lecteurs, et cet article va une fois de plus démontrer que notre quatuor marche du feu de dieux puisque, les wagons s’éloignant sournoisement les uns après les autres, je m’élançai à leur poursuite comme une belette sur un serpent blessé…

Le train prit de la vitesse, mais moi aussi. Première étape : cibler un wagon. Ce fut assez facile, tous débordaient d’Indiens par leurs portes ouvertes, sauf l’avant-dernier qui ne comptait qu’un garçon : « C’est le bon ! » me dis-je en parlant du wagon. Je pris mon élan, et sautai.

J’ai jamais été trop bon en physique, sans quoi je ferais autre chose que tenir ce blog et ce serait bien triste. Tout ça c’est la faute au Père Noel qui n’a jamais voulu m’apporter cette « boite du petit chimiste » (commandée 14 fois) pour des raisons fallacieuses (je soupçonne un accord secret passé avec certaines personnes dont je tairai le nom)… Ce qui fait que je ne sais pas quelle vitesse j’aurais du adopter pour atterrir proprement dans le wagon, alors je me suis contenté du maximum que je pouvais pour pas tomber à côté de la porte.

la barre de fer

La barre de fer: recommandee par les meilleurs.

Ce qu’il y a de bien avec l’entrée des wagons de Mumbai, c’est cette grande barre de fer qui permet de s’y accrocher quand 33 millions de personnes vous compressent dans un sens ou dans l’autre, pour sortir ou pour entrer… Il n’y aurait pas tant de morts si cette barre de fer n’était pas là, mais si elle n’était pas là on ne pourrait pas s’y accrocher, et ce serait beaucoup plus difficile de résister aux courants humains causés par cette barre de fer. C’est le genre d’objet qui apporte la solution à son propre problème. Il y aurait presque un livre à écrire sur cette barre de fer, ou un sketch, à voir.

En tout cas je n’aurais jamais pu m’accrocher à cette barre de fer si elle n’avait pas été là, ce qui m’aurait aussi évité de me la prendre en pleine gueule. Heureusement que le wagon était vide… d’hommes. J’aurais préféré qu’il soit aussi vide de femmes. Les garçons, vous le savez comme moi, c’est deux fois plus la honte de se prendre une barre de fer dans la gueule devant des femmes que devant des hommes… Ou peut-être que vous ne le savez pas et dans ce cas allez-y, c’est gratuit, jouissez un bon coup de mon expérience.

harem compartiment femmes

Voila à quoi ressemblait la population du wagon féminin: je me suis bien sur dépêché de descendre pour réparer mon erreur!

J’étais donc en train de ressentir de la douleur quand des rires timides mais nombreux, discrets mais croissants, moqueurs mais pains au chocolat, me firent comprendre qu’il était l’heure ou jamais de s’offrir une contenance. Je me redressai donc de toute ma hauteur (22cm) et souriais à mon public que je découvris en même temps : des femmes, rien que des femmes, en saris de couleurs ! Certaines se voilant le sourire de leurs voiles (oui, on peut faire ça avec un voile), d’autres riant à pleine dents manquantes… des femmes partout ! C’aurait pu être le rêve de ma vie mais c’était en fait le wagon réservé au « sexe faible », comme on dit, sans doute parce qu’il est impossible de soulever des mini-altères en plastique avec un clitoris. Je me suis senti comme ces héros de film d’action qui atterrissent par erreur dans le harem du Sultan qu’ils sont venus combattre… Celui dont ils sortent à reculons en bégayant des excuses. Dans mon cas ce n’était pas possible, évidemment : j’ai sauté à la station suivante et réussi un formidable atterrissage en pas-chassés… Je sais que certains héros n’hésitent pas à plonger du dernier étage d’un immeuble pour atterrir en roulé-boulé sur le capot des voitures, mais croyez-moi, c’est du chiquet : les pas-chassés, y a que ça de vrai.

Ceci dit, cet article ne parle pas de trains, mais de réussite sociale (la mienne par exemple et pour changer). Pari tenu, je suis devenu acteur à Bombay… Pas vraiment acteur de Bollywood mais quand même. Je vous ai déjà parlé de l’audition à laquelle j’ai participé ? (il y a un point d’interrogation mais la réponse est oui, à lire ici) Eh bien j’ai été pris pour le premier rôle, celui de James, ce banquier con, arrogant, prétentieux, égoïste et égocentrique qui finit par être puni pour ses méfaits. Compte tenu des adjectifs employés pour qualifier le personnage, vous comprendrez que je ne doive ma réussite qu’à mon seul jeu d’acteur, ce qui est tout à mon honneur, je trouve.

J’ai eu la chance de passer mon audition avec une actrice indienne qui est désormais une amie et que nous appellerons Mowglita pour les besoins de cet article. On l’avait bossé dur notre audition dans l’heure qui a précédée notre bref passage sous le feu des projecteurs, ce qui a suffi à les convaincre. « Les » c’est une bande de dix amis dans la quarantaine qui sont passionnés de cinéma et réalisent aujourd’hui leur premier court-métrage de 30 minutes… Je sens bien que la légende s’effrite en admettant cela, mais je ne tourne pas avec le Steven Spielberg du pays (pas encore).

Je vous passe les deux jours de répétition ou nous avons cherché à comprendre nos personnages, Mowglita, Mowglito (son double masculin et troisième acteur principal) et moi. La « production » ne voulait pas nous donner l’ensemble des dialogues pour éviter que nous ne le vendions à la concurrence… Je comprends leurs craintes, j’ai moi-même mis sous protection judiciaire tous les jeux de société que j’ai inventés (aujourd’hui stockés dans un  placard) mais franchement, il n’y avait pas de quoi avoir peur.

Aventure 0449

En plein boulot… (je suis acteur)

Bref, le tournage a commencé le dimanche. La présence de la star du film était requise à 8h30, le temps pour l’équipe technique de mettre en place les caméras et le décor. A 8h15 j’étais devant les locaux de la banque qui servirait de lieu de tournage. Personne. Sauf un garde qui m’interdit le passage. Les autres sont arrivés une demi-heure plus tard, et le garde a compris son erreur… Oui, je suis acteur.

Ce qui est bien avec un métier comme le mien (acteur, donc) c’est qu’il n’y a pas besoin d’être un bon acteur, ou d’être un acteur connu, ni d’avoir jamais joué dans quoi que ce soit pour s’attirer l’admiration du public. Il suffit de dire « Je suis acteur » et hop, c’est dans la poche : acteur = superstar. Ca marche aussi avec écrivain, notez bien. Bon, il y a toujours un ou deux esprits chagrins pour vous demander dans quoi vous avez joué ou ce que vous avez écrit, mais si vous ne vous attardez pas sur place comme un légume, ça passe largement et vous aurez droit à des regards plein d’admiration… ce qui est… waah… et qui sert à… rien.

La première chose que j’ai faite en arrivant sur les lieux du tournage, c’est de m’effondrer dans un canapé. Je devais me la jouer professionnel, et tous les grands acteurs, c’est bien connu, ont des caprices de princesse. Moi j’étais crevé et malade. Nez qui coule, toux… la grande classe. J’ai demandé qu’on m’apporte de l’eau chaude entre chaque prise et tout le monde était aux petits soins avec moi. Mais pour commencer j’ai dormi. Ensuite ils m’ont forcé à mettre mon costume : les chaussures du banquier, le pantalon du banquier, la chemise du banquier, la cravate du banquier, les épaulettes du banquier, le casque du banquier… J’étais prêt à sacrifier ma vie pour Athéna. Mais au lieu de ma belle déesse aux cheveux mauves, on est tous allé voir Ganesha, le dieu à tête d’éléphant, qui avait été installé dans un coin de la salle. Petite séance de prières et d’offrandes au dieu de la chance avant de commencer le taff, ça ne pouvait faire que du bien.

Seiya Pegasus seiyar pegase

James, chevalier de la constellation du banquier.

Je suis passé au maquillage et puis, hop, en route, on m’a mis en situation. Un second rôle me donnait la réplique pour cette première scène que je ne peux malheureusement pas vous décrire à cause de mon contrat (notez le professionnalisme). La seule chose que je peux vous dire c’est que le second rôle jouait mieux que moi et que ça a suffi pour me réveiller. J’étais à deux doigts de perdre mon statut de star, plus question de déconner.

Miracle, malentendu ou fossé culturel ? Tout le monde a été très content de mes différentes prestations. Je crois que tous n’ont pas compris mon parcours, et certains doivent penser que je suis un vrai acteur… Je n’ai pourtant pas cherché à leur cacher la vérité. Mais ils ne m’ont quasiment jamais demandé de refaire une scène… C’est comme si j’avais toujours tout bon du premier coup.

La première partie du tournage a eu lieu dimanche avant-dernier, la seconde dimanche dernier, quant au dimanche avant-avant dernier, on n’a pas tourné du tout (je ne connaissais même pas l’équipe). Entre les deux journées de tournage nous avons regardé l’ensemble des scènes déjà prises, ce qui m’a permis de juger ma propre prestation : h-o-r-r-i-b-r-r-r-r-r-r-r-rrrrrrrrrrrrrrr.

Je sur-joue, c’est un truc de malade. J’étais à deux doigts de me prendre la tête entre les mains tellement je voulais plus voir ma tronche à l’écran, mais je me suis retenu pour ne pas désillusionner mes clients/employeurs. Le plus fou c’était leurs commentaires :
– Regardez Nabolo, ses expressions sont parfaites.
– Oui, il joue vraiment bien.

Le mec à côté de moi m’a glissé à l’oreille :

– Ca fait vraiment du bien au film d’avoir la participation d’un acteur professionnel…
– …

Mowglita m’a expliqué que si je sur-jouais par rapport à mes critères occidentaux, j’avais un jeu qui s’inspirait de ce que j’avais vu sur les écrans d’Europe et qui, par rapport aux critères Indiens, ne donnait pas du tout l’impression de sur-jouer.

Il suffit d’allumer la télé indienne pour la croire.

Il faut dire aussi que la prestation de l’acteur ne compte, au final, pas tant que ça dans le résultat : le caméraman, le responsable du son et le metteur en scène qui le guide ont une part énorme dans le processus de filmation. C’est eux qui feront que le film aura l’air professionnel ou pas. Pour ce qui est du mien ça a l’air mal parti, mais nous n’avons visionné que des scènes mises bout-à-bout, reste à voir ce que fera la magie du montage.

Lord Ganesh Ganesha

Ganesh, le dieu à tête (et peut-etre plus) d’éléphant.

En tous cas il faut de la patience et de la mémoire pour être acteur. Il faut répéter une certaine gestuelle et un certain texte, encore et encore, jusqu’à ce que la prise soit bonne, ce qui dépend de soi d’abord, mais de six autres personnes ensuite, les responsables déjà nommés plus celui de la lumière, du maquillage, ou le gars dans le fond qui a malencontreusement éternué. Tant que tout n’est pas parfait il faut répéter la scène, comme un automate.

Bien jouer (pour autant que je puisse prétendre le savoir) n’est pas si dur avec une bonne préparation, quand on a eu le temps de revoir les gestes et les expressions… Mais bien jouer quand on n’a pas le temps de répéter, et qu’on n’a droit qu’à une prise parce qu’il y a du retard au planning, et xétéra, ça c’est une autre paire de manche.

Le premier dimanche nous n’avons tourné que six scènes mais plusieurs fois, sous différents angles. Hier la journée a été mieux remplie. J’ai fait du 7h30-23h30 sans compter les transports en commun (balèze la vie d’artiste !). Entre deux prises, le responsable du son venait m’apprendre des phrases en hindi pour que je fasse marrer la galerie. Comme mon personnage était impliqué dans quasiment toutes les scènes je n’ai pas eu à attendre beaucoup, mais même un peu, c’est dur : on doit rester à disposition, prêt à cracher le texte et la gestuelle dès qu’on nous l’ordonne… ACTION ! Au moment de donner la réplique à mes « collègues », je me rappelais cette phrase tirée du spectacle de « Les fils de… » (à voir et à revoir) où les personnages principaux se confrontent autour de la règle numéro 1 du veau de ville : « En faire des caisses, encore des caisses, et écraser son partenaire comme une merde ».

Très dur : le fait de tourner les scènes dans n’importe quel ordre, comme jouer la « scène A », puis la « scène B et C », puis de nouveau la « scène A » mais sous un angle de caméra différent. Il faut se rappeler où on était positionné et quelles étaient les expressions et émotions du personnage à ce moment là (sans parler dur texte et de la gestuelle).

Au bout de cette journée de tournage, j’ai eu une sensation bizarre, liée au personnage. Comme si, à force de prendre les airs arrogants et désagréables qui sont les siens, j’avais développé une seconde peau ; comme si à force de tourner (le lait), une sorte de crème s’était développée en surface : une mue, que je ne retirerais qu’à la fin, avec mon costume de banquier amidonné mais trempé de sueur (ce qui justifie sans doute l’image du lait tourné).

Bref, c’est une bonne expérience que celle-là, et je compte la pousser un peu plus loin, pour voir. Mais d’ici là il me reste encore à vous raconter comment j’ai survécu aux léopards, et comment je suis devenu prof de français dans le plus prestigieux lycée de Mumbai… A suivre bientôt, sur l’excellent Nabolo-blog.

Ajout du 02/10/2010: le trailer du film est disponible ici!