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Sigiriya rocks ! | Jay WorldMan

Avant d’aller me coucher hier soir, je suis retourné faire un tour sur le rocher en forme de siège de l’index de Bouddha. Spectacle étonnant : la lune, orange derrière son voile de nuages noirs, éclatante entre deux rochers. Je suis resté béat quelques instants avant de remarquer l’ombre d’un grand prêtre chinois sur le rocher de gauche : mon ombre en vérité, à laquelle mon sarong et la lampe torche que j’avais fixée sur ma tête donnaient quelque chose d’asiatique ! Je me suis couché sur le rocher, les yeux tournés vers le ciel avec le sentiment d’observer un aquarium par le dessous. Au fond, les étoiles et juste devant moi, une meute de chauve-souris en chasse. De temps en temps les drapeaux bouddhistes, en haut du rocher, claquaient comme des bruits de pas et je me retournais plusieurs fois pour ne voir arriver personne. Les haut-parleurs s’étaient mis à beugler la prière du soir dès ma sortie du monastère et ne s’arrêtaient plus, mieux réglés tout de même que la dernière fois. C’est quand même dingue l’agilité des chauves-souris… et puis quelle vitesse ! Ce qui ne les empêche pas de changer de trajectoire au tout dernier moment, pour s’éviter les unes les autres ou choper un hanneton qui ferait de la résistance. Elles volent même mieux que les oiseaux je dirais ! P’is ce sont des mammifères en plus, je suis fier ! Parfois elles piaillent aussi, voire elles grognent… à moins que ce soit encore le bruit du drapeau. La roche sur laquelle je suis allongée est chaude d’avoir baigné au soleil toute la journée. A la lumière de la lune je distingue encore la forêt et la plaine, en-dessous de moi, et la montagne-rocher qui s’y dresse, en face. Je me sens bien dans cet endroit. Un jour je reviendrai.

Je reviendrai, parce que j’ai pris la décision hier soir que j’allais partir. Aujourd’hui j’ai trente-trois ans. Trois soirs durant, j’ai vu le soleil se coucher depuis la plate forme de la dagoba du pouce. Et quand, hier soir, il a disparu pièce après pièce, croqué par une montagne de nuages indistincte, emportés par les notes mélodieuses de « La lettre à Elise » qu’ici comme à Delhi, crois-je me rappeler, les camions de glace jouent à tue-tête, j’ai décidé qu’il était temps.

Pour mes trente-trois ans, à défaut d’avoir uni deux univers, comme Alexandre, ou diffusé largement un message d’espoir et de paix, comme Jésus, j’avais souhaité devenir sage, « wise », de manière suffisamment complète. L’ami à qui j’avais confié cette ambition, pour l’occasion plus sage que moi, m’avait répondu que la sagesse est un développement infini et permanent… Mais il n’a pas de mérite : c’est tellement facile d’être sage quand quelqu’un dit des conneries.

Quoi qu’il en soit, j’avais décidé de partir, comme si ce jour devait être marqué par une rupture. Le matin j’ai donc fait mes adieux à tous ceux que j’avais côtoyé pendant mon séjour, Petit Ours Bien compris, évidemment. Notre dernière conversation n’avait pas été aussi passionnante que la première : j’avais besoin d’assimiler un peu tout ce qu’il m’avait appris avant de laisser éclore de nouvelles questions. Petit Ours Bien et les autres, levés plus tôt que moi, comme d’hab’, étaient en train de balayer la cour au moment où je les retrouvais… balayer la cour, quelle idée ! En fait de cour il s’agit de l’entièreté de la surface de la paume, couverte d’une sorte de sable-gravillon, et des feuilles dont la petite équipe monacale essaye de se débarrasser… Sauf qu’ils balayent chacun de leur côté et que, la plupart du temps, ils balayent dans le vide et se contentent de repousser les feuilles un peu plus loin au lieu de faire des tas qui permettraient facilement de les ramasser. Ni une, ni deux, je leur propose mon aide, et je commence à faire un joli tas en virevoltant de-ci, de-là à la poursuite des feuilles et c’est ainsi que, au bout de dix minutes seulement : tadam ! Je suis épuisé !

Quelqu’un se propose alors de récupérer mon balai et je le lui cède bien volontiers. Le voilà qui se remet à balayer, comme les autres, plutôt qu’à ma façon.

C’est à ce moment-là que je réalise : mes camarades ne balayent pas chacun dans leur coin, contrairement aux apparences, ils exécutent en fait une stratégie de groupe pour balayer harmonieusement toute la surface de la paume et en chasser toutes les feuilles ! Eux ne laissent pas derrière eux des pâtés de sable comme c’est mon cas, à tel point qu’ils doivent repasser derrière moi. Ayant compris l’objectif, je réclame mon balai, ainsi qu’un formation expresse en balayage. Enfin, je peux me rendre utile !

Plus tôt, personne n’avait cherché à m’arrêter tandis que je faisais à peu près n’importe quoi : en tous cas, rien qui serve à quelque chose. C’est gentil d eleur part. Et pour moi c’est une belle leçon d’humilité : la prochaine fois que je trouverai quelque chose d’idiot je me demanderai d’abord si ce n’est pas, à tout hasard, quelque chose que je ne comprends pas… Je constate aussi qu’il est extrêmement facile de ne pas voir quelque chose tant qu’on n’a pas appris appris la chose en question. Cette leçon me servirait très bientôt.

La cour balayé, j’ai pu dire au revoir à tout le monde et annoncer à Petit Ours Bien qu’un jour, je reviendrai. Il m’a répondu que « Pas de problème : de toute façon je vais passer toute cette vie ici. »

Bon !

J’ai renfilé mon sac-à-dos et descendu les escaliers, attrapant une mangue au stand à écureuil et des bouts de papier journal qui servent partout de « sopalin ». En chemin vers l’arrêt de bus, à travers la forêt, j’ai croisé les militaires qui s’occupent à nettoyer le bois et rénover le temple, et qui m’ont pris en photo avec une biche qui traînait par là. J’avais décidé de me rendre à Trincomalee, dans le nord-est de l’île, sur la côte, parce qu’un pote à moi m’avait dit que c’était son endroit préféré. J’ai détesté. La mer charriait des monceaux de débris plastiques dans des courants violents et les srilankais de l’auberge jetaient des cailloux aux chiants errants, en riant mais pas pour rigoler. Quand j’ai eu mon pote au téléphone je lui ai demandé

– Mais comment t’as pu préférer cet endroit à tout le reste ?!

– Oh, en fait je n’y suis jamais allé… Mais ça m’avait l’air sympa.

– Qu… ?!

Incroyable. Je ne regrette toutefois pas d’avoir parcouru ce coin-là, histoire de voir un peu à quoi ressemblent les régions du nord, davantage marquées par la guerre. Effectivement, l’ambiance y est différente, les infrastructures plus pourries, et les photos du président srilankais, qu’on voit partout partout dans le pays, sont déchirés ou criblées de projectiles.

Galle delhouse Dalhousie Yala Mirissa Sigiriya

Je remercie l’armée srilankaise pour ce très beau cliché.

De retour dans la zone centrale, qu’on appelle le triangle culturel, j’ai élu domicile dans la ville de Habarana à partir de laquelle il me serait facile de visiter les sites alentours. La ville en elle-même est un bête carrefour à proximité d’un très beau petit lac, toutefois, où les éléphants se baignent à la nuit tombée… Une mangouste rode dans mon hôtel… Là où il y a des animaux je me sens bien (même si la vraie raison de ma sédentarisation ce sont les excellents jus de fruits de mon hôte!).

Polonaruwa :

Polonaruwa est une grande cité en ruines, recouverte par la jungle, un peu comme Anuradhapura… sauf que les lieux saints de cette dernière sont encore visités par les pélèrins, ce qui n’est pas le cas de Polonaruwa. Je m’y suis promené à vélo, mais je n’ai rien de trop aventuresque à raconter…

Dambula :

Encore moi à Dambula, une série de grottes perchées au sommet d’un gros rocher (pour ne pas dire une montagne). Des moins en ont recouvert la surface de représentation de bouddha, il y a aussi de nombreuses statues qui sont quasiment toutes les mêmes. Ca ne m’a pas transcendé.

Sigiriya :

Il en est allé différemment avec Sigiriya ! Pour le coup, impossible de décrire le lieu comme « pas aventuresque » puisque c’est là qu’a été tourné une partie de « Indiana Jones et le temple maudit ». Et pour cause ! Ce site est… à couper le souffle. Son histoire aussi… que je m’en vais vous raconter.

Sigiriya rock fortress vue des pattes du lion

Il était une fois un roi, dont le palais se trouvait à Anuradhapura, près du lac. Ce roi avait deux fils (au moins) : le plus âgé, il l’avait eu avec une concubine ; le deuxième il avait eu avec la reine. Lequel hériterait de la couronne ?
Le plus âgé, qui s’appelait Kassyapa, sentait que la situation sentait pas bon pour lui. Pour se rassurer, il alla trouver son père afin de lui demander ce qu’il comptait lui donner en héritage ? Le roi l’amena au lac et lui dit :

– Je te confierai ma plus grande richesse !

Et il tira du lac une poignée d’eau… Kassyapa n’était pas sûr de comprendre. Il se foutait de sa gueule le vieux, là, ou bien ? Ce que le roi voulait dire, c’était que l’eau c’est très important et qu… Rien à foutre ! Kassyapa lui trancha la tête : fallait pas déconner avec lui ! Il se fit couronner roi à la place du roi, tandis que son jeune frère s’exilait en Inde.

Kassyapa savait qu’on n’en resterait pas là : le morveux était parti en compagnie de ses partisans, ceux qui contestaient sa légitimité. En l’attente de son retour, qui n’allait certainement pas se faire sans accroc, Kassyapa se mit en tête d’élever une forteresse imprenable afin d’accueillir le frérot comme il se doit.

Cherchant un site pour sa forteresse, il tomba nez à nez, au beau milieu d’une plaine marécageuse, avec un rocher gigantesque… C’était parfait ! De là on verrait les ennemis arriver depuis des kilomètres à la ronde ! Et vas-y pour s’emparer du rocher !

Ainsi commencèrent les travaux qui devaient donner naissance à un fabuleux palais ! Au-delà de l’enceinte cernée de douves où bronzaient quantité de crocodiles, des jardins plus somptueux les uns que les autres se succédaient en terrasses, avec leurs fontaines et leurs concubines qui batifolaient à poils sous le regard envieux des visiteurs tout en faisant des trucs cochons dans l’eau… sûr que Kassyapa n’avait pas la même vision de l’eau que son père !

Passées les fontaines qui jaillissaient du sol grâce à un ingénieux système hydraulique, on franchissait différentes murailles pour accéder à de nouveaux jardins, plus étroits, sur des terrasses plus élevées, avant d’entamer l’ascension du rocher en prenant l’escalier-couloir enroulé autour de son flanc rotondineux.

En étant invité déjà c’était pas facile, mais en ne l’étant pas, avec des types qui vous balancent des pierres et d’autres trucs pas glops sur le râble, c’était inenvisageable, à moins d’aimer la douleur, tout ça.

Au bout du couloir-escalier, le chef d’oeuvre de la forteresse : une gigantesque tête de lion taillée dans le roc, reposant sur deux massives pattes de granit (je dis ça parce que ça fait classe mais c’est sûrement un autre type de roche), et par la gueule de laquelle on accédait à un escalier taillé à l’intérieur du rocher, jusqu’au sommet, couvert de piscines, de palais, de fontaines, de gardes et de femmes à poils.

C’est là, dans cette forteresse imprenable, que vivait Kassyapa.

Et lorsque les guetteurs annoncèrent, deux décennies après la mort du père, que le frère se présentait à l’horizon avec une gigantesque armée, c’est tout naturellement que le roi décida d’aller combattre dans la plaine (son conseiller militaire s’appelait Maginot).

C’est du côté d’Habarana que les deux armées se rencontrèrent… Habarana signifie d’ailleurs « champ de bataille » : c’est le nom qu’on a donné à l’endroit en mémoire de cet événement ! Et quelle bataille ! Tentons de la résumer rapidement : les deux armées avancent l’une vers l’autre dans la plaine marécageuse… Immenses, magnifiques… Tout à coup, le gigantesque éléphant depuis le sommet duquel Kassyapa dirige son armée, terrible, avec ses parures de guerre ; remarquant qu’il s’apprête à marcher dans la vase, décide de contourner la marre qui se trouve devant lui.

L’armée voit alors très distinctement l’éléphant faire demi-tour, comprend que c’est le roi qui s’enfuit, et le prend de vitesse en se barrant en courant ! Pas de bol pour Kassyapa, l’éléphant ayant fini son tour, il reprend son chemin normalement et se présente donc, tout seul, à l’armée ennemie.

C’est un peu comme si l’éléphant avait décidé de livrer le roi quoi.

Kassyapa a trop la honte (on le comprend) et décide de s’ôter la vie. La forteresse de Sigiriya sera alors abandonnée aux moines qui en chassèrent les filles à poils, et la partie intéressante de l’histoire de ce site remarquable s’achève ici.

sigiriya rock fortress vue de loin avec éléphant dans le lac

On dirait presque une photo de la bataille ! Du point de vue de Kassyapa…

Je vous invite à voir mes photos du site sur facebook, ou tout simplement à taper Sigiriya sur google pour bien capter comme le bidule était impressionnant et vous aider à imaginer ce que ça pouvait être… J’en garde un souvenir marquant ! L’ascension via les escaliers-en-fer-qui-tremblent-sous-tes-pas-et-sous-le-vent donne son pesant de frissons.

Pour ma part, de retour à Habarana, j’ai renfilé les lanières de mon sac : mon séjour au Sri Lanka se termine… Mais il me reste une aventure sur mon chemin pour l’aéroport puisque je compte passer deux nuits dans un nouveau monastère, celui de Caméléon Myope, le moine francophone… Je vais découvrir bientôt qu’il a des tas de choses à m’enseigner !!